LOI DE FINANCEMENT DE LA SECURITE SOCIALE POUR 1999
La loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, adoptée le 3 décembre 1998, a été déférée au Conseil constitutionnel par plus de soixante députés ainsi que par plus de soixante sénateurs. Huit séries de dispositions de la loi sont plus particulièrement contestées, par des moyens qui appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
I. - Sur la suppression de la déductibilité des dépenses de recherche de l'assiette de la contribution de l'industrie pharmaceutique (art. 10)
A. - L'article 10 de la loi déférée tend à corriger les dispositions juridiquement fragiles de l'article 12 de l'ordonnance no 96-51 du 24 janvier 1996.
1. Cet article avait instauré trois prélèvements à la charge de l'industrie pharmaceutique, qui ont été recouvrés en août 1996. A l'occasion d'un recours contentieux dirigé contre l'un de ces prélèvements, il est apparu qu'il s'exposait à un risque sérieux d'annulation pour méconnaissance du droit communautaire. En effet, le mécanisme de ce prélèvement prévoyait d'en minorer l'assiette du fait des seules dépenses de recherche effectuées en France. Le critère ainsi retenu défavorisait les filiales de groupes étrangers établies en France, pour lesquelles la recherche est effectuée à l'étranger, et qui se trouvaient, par conséquent, exclues du bénéfice de la minoration.
Il a donc paru nécessaire de corriger ce dispositif en supprimant cette minoration du fait des dépenses de recherche, sans attendre une censure contentieuse, et en en modifiant corrélativement le taux.
2. Pour contester cet article , les auteurs des saisines font valoir plusieurs moyens.
Ils en critiquent d'abord le caractère rétroactif. Ils soutiennent qu'il méconnaît les exigences constitutionnelles relatives aux validations législatives et à la rétroactivité des lois fiscales. Les requérants jugent cet article contraire à des principes de sécurité juridique, de confiance légitime et d'annualité qui auraient, selon eux, valeur constitutionnelle. Ils considèrent que cette rétroactivité méconnaît, également, le principe d'égalité.
Les auteurs de la saisine estiment, par ailleurs, que la disposition qu'ils critiquent est entachée d'« incompétence négative ».
B. - Le Gouvernement considère, pour sa part, que ces critiques ne sont pas fondées.
1. S'agissant du caractère rétroactif de ce dispositif, l'argumentation soumise au Conseil constitutionnel appelle trois séries d'observations.
a) Il convient d'abord de souligner que les requérants se méprennent sur la portée exacte de cette disposition.
L'article 10 de la loi déférée n'a, en aucune manière, le caractère d'une mesure de validation. Il n'a pas pour objet de mettre un acte administratif à l'abri d'une censure contentieuse en lui donnant la base légale qui lui ferait défaut. Il vise, au contraire, à corriger le dispositif initialement adopté, précisément en supprimant l'illégalité dont il s'avère qu'il était entaché.
Il apparaît en effet, notamment à la lumière des conclusions prononcées par l'avocat général, le 1er décembre dernier, devant la Cour de justice des Communautés européennes, que l'issue de ce contentieux risque, selon toute probabilité, d'être défavorable à la thèse de la conformité au droit communautaire de l'assiette du prélèvement institué en 1996. Ce magistrat a, en effet, estimé que le fait de subordonner la déduction des dépenses de recherche à la condition que celles-ci aient été effectuées en France contrevient, non seulement aux dispositions des articles 52 et 58 du traité de Rome relatifs à la liberté d'établissement, mais encore à celles de l'article 92 concernant les aides d'Etat.
Au vu de la réponse que la CJCE fournira à la question préjudicielle que le Conseil d'Etat lui avait soumise par sa décision société Baxter et autres du 28 mars 1997, ce dernier ne pourra qu'annuler en totalité les dispositions contestées devant lui.
Cette annulation priverait ainsi de base légale les prélèvements opérés en 1996, dès lors que le mécanisme litigieux de minoration de l'assiette est évidemment indivisible des autres éléments du dispositif.
La Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés serait alors contrainte de restituer aux entreprises concernées les sommes en cause, dans le courant de l'exercice 1999. C'est la perspective de voir les finances de la sécurité sociale amputées du montant correspondant, soit 1,2 milliard de francs, qui a conduit le Gouvernement à proposer au Parlement d'abroger les dispositions litigieuses sans attendre qu'elles soient annulées.
En effet, une annulation survenant en cours d'année se traduirait immédiatement par le décaissement des sommes correspondantes, tandis qu'il serait pratiquement impossible d'y substituer, dans le même temps, une mesure permettant de remédier au déséquilibre ainsi créé : l'instauration, sur des bases entièrement nouvelles par rapport à 1996, d'une imposition exceptionnelle, nécessite à la fois des études économiques et des contacts avec les représentants du secteur concerné, qu'il est impossible de mener à bien dans un laps de temps si court. En outre, une telle mesure, qui pourrait trouver place dans une loi de financement de la sécurité sociale, interviendrait trop tard dans l'année pour qu'un nouveau prélèvement puisse être effectif au cours de l'exercice 1999. Il y aurait ainsi un impact sur les comptes de la sécurité sociale de 1999 et, en tout état de cause, un coût important de trésorerie avant l'entrée en vigueur d'une telle mesure.
C'est pourquoi il a été jugé préférable de faire adopter par le Parlement, sans plus attendre, la mesure contestée, laquelle ne fait que mettre en oeuvre l'objectif d'équilibre financier de la sécurité sociale auquel est reconnu un caractère constitutionnel (no 97-393 DC du 18 décembre 1997). Elle le fait, en outre, en s'efforçant d'affecter le moins possible la situation des entreprises concernées.
Se contentant d'anticiper sur la constatation d'une illégalité, en la faisant d'emblée disparaître de l'ordonnancement juridique et en affectant celui-ci dans la seule mesure strictement nécessaire à cet effet, l'article 10 ne peut donc, sans contresens, être qualifié de mesure de validation.
Au demeurant, il aurait été parfaitement vain de proposer au Parlement une validation de l'article 12 de l'ordonnance de 1996, dès lors que l'illégalité en cause réside dans une méconnaissance du droit communautaire : il résulte, en effet, de l'article 55 de la Constitution que la loi nationale est inapte à faire échec aux engagements internationaux, ce que le juge de la légalité a déjà eu l'occasion d'opposer à une loi de validation (CE 5 mai 1995, ministre de l'équipement c./ SARL Der).
Dans ces conditions, l'argumentation que les saisissants tirent de l'encadrement constitutionnel des lois de validation est inopérante. En tout état de cause, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus de l'objet de cette mesure, au regard de l'équilibre financier de la sécurité sociale, que, si la condition d'intérêt général propre aux lois de validation était requise, elle serait assurément remplie.
b) On observera ensuite que les autres moyens invoqués pour contester la rétroactivité de cette mesure se heurtent tous à la jurisprudence constitutionnelle.
En premier lieu, c'est à tort que les requérants, soulignant le fait que le Conseil d'Etat n'a pas définitivement statué sur le recours contre la disposition, antérieurement en vigueur, de l'ordonnance du 24 janvier 1996, mettent en cause le caractère préventif de cette mesure.
En effet, et à supposer même qu'il puisse être utilement contesté pour critiquer une mesure comme celle-ci, il est clair que le caractère préventif d'une intervention rétroactive du législateur n'est pas de nature à en affecter la conformité à la Constitution (no 94-357 DC du 25 janvier 1995 ; no 95-364 DC du 8 février 1995). En pareil cas, en effet, ce caractère est précisément de nature à éviter l'écueil d'une atteinte aux droits qui pourraient avoir été reconnus par une décision de justice.
En deuxième lieu, cette intervention rétroactive du législateur ne saurait se voir utilement opposer un principe de sécurité juridique, auquel serait reconnu une valeur constitutionnelle, à partir des principes de sûreté et de garantie des droits énoncés par les articles 2 et 16 de la Déclaration de 1789. En effet, et comme a pu le relever un commentateur de la décision no 97-391 DC du 7 novembre 1997 qui écartait des griefs analogues, « la sécurité juridique n'est pas une norme constitutionnelle » (J.E. Schoettl, AJDA 1997 p. 971).
Ce principe de sécurité juridique ne saurait davantage se déduire, comme le suggère l'argumentation des députés saisissants, du caractère annuel des lois de financement de la sécurité sociale énoncé par l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale. En cette matière, comme dans celle des lois de finances, ce caractère annuel n'a pas, par lui-même, pour objet, ni pour effet, d'interdire au législateur de modifier, au besoin rétroactivement, l'assiette d'une contribution, alors même que l'exercice en cause serait clos.
Sans doute est-il exact qu'il s'agit ici d'une contribution qui a déjà été payée par les entreprises assujetties. Mais les ajustements auxquels donnera lieu le dispositif adopté ne se heurtent à aucun obstacle juridique ni pratique : l'éventualité d'avoir, en 1999, à verser un complément ou, au contraire, à bénéficier d'un remboursement au titre d'un exercice clos en 1996, est exactement similaire à celle à laquelle peut avoir à faire face une entreprise qui fait l'objet d'une procédure de redressement ou qui, au contraire, se voit reconnaître le bénéfice d'un dégrèvement à la suite d'une réclamation.
Contrairement, en effet, à ce qui a été soutenu, les ajustements qu'entraînera l'application de l'article 10 - dont il faut souligner qu'il ne jouera, par construction, qu'à la marge - n'affecteront nullement les comptes d'exercices définitivement clos. Conformément aux règles fiscales et comptables qui régissent le rattachement des produits et des charges, les sommes en cause ne viendront affecter les comptes des entreprises concernées qu'à partir du moment où elles deviendront suffisamment certaines, c'est-à-dire après la publication de la présente loi : selon le cas, les laboratoires pharmaceutiques auront alors à enregistrer dans leurs comptes le produit attendu du reversement - pour ceux qui bénéficieront de l'effet dû à l'abaissement du taux - ou à inscrire la somme à décaisser - dans le cas où l'entreprise ne peut plus bénéficier de la minoration d'assiette liée aux dépenses de recherche.
Ce sont donc seulement les comptes de l'exercice clos après la publication de la loi qui seront affectés. Et si la loi doit bien s'analyser juridiquement comme une mesure rétroactive, c'est seulement parce que, venant se greffer sur le dispositif mis en place en 1996, elle conserve comme fait générateur un chiffre d'affaires réalisé avant son entrée en vigueur.
Des ajustements comme ceux auxquels conduira l'application de cet article sont courants dans la vie des entreprises, notamment lorsqu'elles ont à intégrer, dans leurs comptes d'une année déterminée, des redressements ou des dégrèvements se rapportant à des impositions acquittées au cours d'exercices clos plusieurs années auparavant.
Tel pourrait d'ailleurs très bien être le cas pour la contribution ici en cause : contrairement à ce que soutiennent les requérants, elle n'a pas cessé de produire ses effets juridiques, dès lors que le délai de prescription de trois ans prévu par l'article L. 244-3 du code de la sécurité sociale (applicable en vertu du 3o de l'article L. 225-1-1, auquel renvoie le IV de l'article 12), n'expirera qu'en 1999.
Subsidiairement, on soulignera que les sommes qui vont faire l'objet d'un nouveau calcul en application du texte sont, somme toute, mineures au regard du produit - 1,2 milliard de francs - de la contribution en cause : la modification de son économie conduit à demander le remboursement de 66 millions de francs auprès de 39 entreprises et, inversement, à reverser le même montant à celles qui bénéficient de la mise en conformité de l'assiette avec le droit communautaire. Comme il a été dit plus haut, il s'agit du strict ajustement, juridiquement nécessaire au maintien, dans le respect de la légalité, du dispositif fiscal voulu à l'époque.
Ce dispositif est insusceptible de mettre en péril le secteur, alors qu'au contraire, le déroulement de la procédure aurait des conséquences extrêmement dommageables pour l'ordonnancement juridique, porterait gravement atteinte à l'équilibre financier de la branche maladie de la sécurité sociale et remettrait également en cause les orientations du Gouvernement en matière de politique du médicament, décidées compte tenu de cet équilibre.
En troisième lieu, c'est en vain que l'on chercherait dans l'article 13 de la Déclaration de 1789 un « principe d'individualisation des contributions » qui ferait obstacle à ce que le législateur adopte des dispositions comme celles qui sont ici en cause.
Enfin, le caractère rétroactif du dispositif contesté ne saurait davantage se heurter au principe d'égalité. Dès lors qu'il est clair que le fait générateur de la contribution demeure le chiffre d'affaires réalisé en 1995, toutes les entreprises qui en étaient redevables seront concernées par la redéfinition de l'assiette, sans que les restructurations qui ont pu intervenir, pour certaines d'entre elles, puissent faire obstacle à ce que, selon le cas, elles acquittent un complément ou bénéficient d'un reversement.
A cet égard, il convient de souligner que le dispositif de régularisation se fondera sur les déclarations effectuées par les laboratoires en 1996. L'ACOSS, qui connaît, pour chaque laboratoire, le chiffre d'affaires réalisé en 1995, procédera, sur cette base, à un nouveau calcul de la contribution, qui s'imputera sur le montant acquitté par l'entreprise en 1996. Selon le cas, des sommes devront être reversées par l'ACOSS aux laboratoires ou inversement.
Sans doute est-il exact que, comme le relèvent les requérants, des entreprises auront, dans certains cas, disparu par suite de fusions ou absorptions.
Mais de telles situations entrent naturellement dans les prévisions de l'article 372-1 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, qui dispose notamment que « la fusion ou la scission entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires dans l'état où il se trouve à la date définitive de l'opération ». Conformément à ce principe, la régularisation s'effectuera auprès de la nouvelle structure bénéficiaire.
Là encore, les principes qui prévaudront seront exactement les mêmes qu'en cas de redressement à la suite d'un contrôle, ce qui, comme on l'a souligné, serait toujours possible puisque le délai de prescription n'est pas expiré.
Le nouveau dispositif implique une taxation sur le chiffre d'affaires réalisé en 1995 ; dès lors, toutes les entreprises du secteur, redevables de la taxe en 1996, doivent faire l'objet d'une régularisation à ce titre pour que la taxe s'applique à cette assiette. Lorsque les entreprises existent sous une forme juridique différente, la régularisation s'effectuera auprès de la nouvelle structure.
Ce principe s'appliquant dans les mêmes conditions à toutes les entreprises concernées, il ne saurait y avoir méconnaissance du principe d'égalité.
Il est donc acquis que ce n'est qu'au prix d'un revirement de jurisprudence que le Conseil constitutionnel pourrait accueillir les critiques portant sur le caractère rétroactif des dispositions de l'article 10.
c) Or le Gouvernement entend appeler tout particulièrement l'attention du Conseil constitutionnel sur les inconvénients majeurs que présenterait un tel revirement.
Au fil des ans, et à partir des principes posés par la décision no 80-119 DC du 22 juillet 1980, le Conseil constitutionnel est parvenu à une jurisprudence équilibrée. L'annulation prononcée par la décision no 95-369 DC du 28 décembre 1995 a montré que les possibilités ouvertes par cette jurisprudence n'étaient pas sans limites. S'agissant des validations proprement dites, elle est venue rappeler aux pouvoirs publics qu'un but purement financier ne suffisait pas nécessairement, marquant bien, par ce rappel à l'ordre, que cette catégorie de mesures rétroactives ne saurait se multiplier pour des raisons de simple convenance budgétaire.
Réaffirmée à plusieurs reprises, et notamment dans des décisions récentes (no 97-390 DC du 19 novembre 1997 ; no 97-393 DC du 18 décembre 1997), cette jurisprudence sert de guide à l'action des pouvoirs publics. Elle éclaire le Gouvernement lorsqu'il s'interroge sur la possibilité d'introduire un dispositif rétroactif dans un projet de loi, notamment lorsqu'il s'agit de véritables validations. Elle sert de base aux avis que le Conseil d'Etat rend sur ces projets, conformément à l'article 39 de la Constitution. De même permet-elle au Parlement de savoir à l'avance si les dispositions que le Gouvernement lui propose, tout comme celles dont il prend l'initiative, présentent ou non un risque sur le plan constitutionnel.
L'encadrement de l'action des pouvoirs publics qui résulte de cette jurisprudence trouve un appui incontestable sur la Constitution. Il est praticable parce qu'il est prévisible, c'est-à-dire parce que les principes fondant cet encadrement sont suffisamment stables.
Ainsi est-il bien établi que la rétroactivité, notamment en matière fiscale où elle s'avère souvent nécessaire, n'est pas, par elle-même, contraire à la Constitution, dès lors que l'article 2 du code civil n'a qu'une simple valeur législative.
Et s'il existe des exceptions, chacune d'entre elles peut se réclamer de fondements constitutionnels incontestables :
- la première tient au principe d'indépendance des juridictions, qui s'oppose à ce que le législateur méconnaisse l'autorité des décisions de justice passées en force de chose jugée ;
- la deuxième a trait au principe de non-rétroactivité des lois répressives, que, à partir de l'article 8 de la Déclaration de 1789, la jurisprudence applique à « toute sanction ayant le caractère d'une punition », ce qui inclut les sanctions administratives, et notamment fiscales ;
- la troisième, qui n'est pas propre aux lois rétroactives, mais leur est a fortiori applicable, a pour effet d'interdire au législateur de « priver de garanties légales des exigences de valeur constitutionnelle ».
Mais si le Conseil constitutionnel se montre, à ce titre, attentif à ce que l'application d'une disposition fiscale rétroactive n'ait pas pour conséquence, par ses effets sur le patrimoine des contribuables, de porter atteinte au droit de propriété (no 91-298 DC du 24 juillet 1991), sa jurisprudence marque seulement, par là même, l'impossibilité d'admettre qu'une application rétroactive de la loi fiscale ait un caractère spoliateur, par l'ampleur de son impact sur le patrimoine des contribuables, ce que ne fait évidemment pas l'article 10 de la loi déférée.
Tel est, en résumé, le corps de règles qui s'impose en la matière aux pouvoirs publics, ces règles ayant été, pour la plupart, récemment rappelées par le Conseil constitutionnel. Les sollicitations dont il a fait l'objet en vue de resserrer cet encadrement ont été écartées car elles s'appuient sur des bases incertaines qui ne sauraient, dès lors, légitimer un resserrement des pouvoirs du législateur.
Comme le souligne, en effet, le doyen Vedel dans son étude publiée aux « Cahiers du Conseil constitutionnel » (no 2/97), le Conseil, qui ne dispose pas du pouvoir constituant, ne peut dégager des principes qu'à partir de normes constitutionnelles écrites.
Or, il est clair que la Constitution n'énonce aucun principe de « confiance légitime », ce que le Conseil constitutionnel a souligné récemment, à deux reprises (no 96-385 DC du 30 décembre 1996 ; no 97-391 DC du 7 novembre 1997).
De même la thèse suivant laquelle des dispositions rétroactives se heurteraient à un principe constitutionnel de « sécurité juridique » est-elle dépourvue de fondement.
D'une part, en effet, le droit à la sûreté énoncé par l'article 2 de la Déclaration de 1789 ne saurait être utilement invoqué pour démontrer l'existence, au plan constitutionnel, d'un tel principe. La consécration de ce droit a un tout autre objet, qui est, selon la définition du professeur J. Rivero « la certitude pour les citoyens qu'ils ne feront pas l'objet, notamment de la part du pouvoir, de mesures arbitraires les privant de leur liberté matérielle, telles qu'arrestations ou détentions ». A cet égard, la conception extensive qui permettrait, par une véritable réécriture du texte de 1789, de fonder ainsi le concept de sécurité juridique, n'a jamais été validée par la jurisprudence (cf. par exemple la décision no 89-154 DC du 4 juillet 1989 et, plus récemment, la décision no 97-391 DC, le Conseil ayant été saisi, dans cette dernière affaire, à la fois sur le terrain de la sécurité juridique et sur celui de la confiance légitime).
D'autre part la « constitutionnalisation » de la sécurité juridique ne saurait davantage se réclamer de la garantie des droits énoncée à l'article 16 de la Déclaration. S'il est vrai que cette disposition peut constituer l'un des fondements de la jurisprudence sur les validations, c'est seulement dans la mesure où elle consacre le droit à un recours en justice, ce qui suppose que ce droit ne soit pas arbitrairement privé d'effectivité (no 96-376 DC du 3 avril 1996).
L'article 16 s'étant récemment vu reconnaître cette portée, l'on ne saurait lui en découvrir maintenant une autre, pour censurer un texte qui ne porte aucune atteinte de cette sorte mais vise à substituer des règles conformes au droit applicable à des dispositions qui méconnaissent ce droit.
De surcroît, il est clair que cette garantie des droits n'implique, par elle-même, aucune garantie constitutionnelle des droits acquis, c'est-à-dire aucune impossibilité radicale, pour le législateur, de remettre en cause, si nécessaire, des situations juridiquement constituées. Ainsi le Conseil constitutionnel considère-t-il que le pouvoir du législateur de modifier rétroactivement la législation fiscale ne saurait être restreint « du seul fait de l'existence de droits nés sous l'empire de la loi ancienne » (décision no 86-223 DC du 29 décembre 1986).
On soulignera enfin qu'il serait d'autant plus contestable d'ériger la sécurité juridique en norme limitant les législations rétroactives que, si cette notion peut jouer un rôle en la matière, c'est au contraire, dans bien des cas, pour constituer une considération d'intérêt général de nature à justifier certaines mesures rétroactives, telles que celles qui reposent sur le souci de mettre des situations juridiques à l'abri de la fragilité ou de l'ambiguïté de la règle de droit (voir par exemple, en ce sens, la décision no 93-335 DC du 21 janvier 1994).
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement entend marquer l'importance qu'il attache à ce que le cadre constitutionnel qui régit la matière ne soit pas remis en cause.
2. Enfin, l'article 10 n'est nullement entaché d'« incompétence négative ».
Certes, la détermination des modalités de paiement est renvoyée à un décret. Mais ce renvoi est strictement limité, et ne concerne, pour l'essentiel, que le calendrier de mise en oeuvre de la mesure, celle-ci restant régie, pour le surplus, par les dispositions issues de l'article 12 de l'ordonnance de 1996. L'article 10 ne méconnaît donc pas l'obligation, faite au législateur par l'article 34 de la Constitution, de définir les règles applicables aux impositions de toute nature.
Quant à l'article 14 de la Déclaration de 1789 qu'invoquent également les saisissants, il est, par lui-même, sans incidence sur la détermination de l'autorité compétente pour définir les règles fiscales.
II. - Sur l'extension du champ
de la négociation conventionnelle (art. 22)
A. - Cet article vise à redéfinir le champ de la négociation conventionnelle.
1. Le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, par une décision du 3 juillet 1998, annulé l'arrêté ministériel du 28 mars 1997 portant approbation de la convention nationale des médecins généralistes. Le Conseil a notamment considéré que le champ de la négociation conventionnelle défini à l'article L. 162-5 du code de la sécurité sociale ne s'étendait pas de manière explicite à la promotion de formes nouvelles d'exercice de la médecine libérale. Les dispositions de la convention prévoyant que le patient peut choisir un médecin « référent » qui assurera le suivi de son dossier médical ont donc été jugées illégales.
L'article 22 de la loi adoptée permet aux parties conventionnelles de définir des modalités de coordination des soins, dans le double souci d'améliorer la qualité des soins et l'utilisation des ressources. La mise en oeuvre de ces dispositifs est conditionnée par la signature d'un contrat fixant les droits et obligations des parties, passé entre les caisses et les médecins intéressés. Les parties conventionnelles peuvent avoir recours, dans ce cadre, aux dérogations prévues par la loi au bénéfice des actions expérimentales relevant du comité dit « comité Soubie ».
Cet article fait entrer également dans le champ de la négociation conventionnelle la rémunération, autrement qu'à l'acte, des activités de soins et la rémunération des activités non prescriptives.
2. Aux yeux des requérants, ce dispositif renverrait indûment à la convention le soin de prendre des mesures pouvant porter atteinte aux principes fondamentaux de l'exercice de la médecine libérale que sont le libre choix du médecin par le malade, le paiement direct des honoraires, ainsi que l'indépendance professionnelle des médecins. Ils estiment que seule une habilitation législative expresse pourrait permettre à une convention de déroger à ces principes, qu'exprime l'article L. 162-2 du code de la sécurité sociale, et que le législateur aurait dû fixer lui-même les conditions de cette dérogation.
En outre, les sénateurs, auteurs de la seconde saisine, font valoir que l'insertion de cet article dans la présente loi ne répond pas aux conditions posées par l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale.
B. - Ces moyens ne peuvent être accueillis :
1. En premier lieu, ce dispositif est bien au nombre de ceux qui ont leur place dans une loi de financement de la sécurité sociale.
En effet, la mesure ouvre à la convention des possibilités importantes d'action sur l'organisation de l'offre de soins, les modes de rémunération, notamment en développant d'autres modes de rémunération que la rémunération à l'acte, le développement d'activités non curatives.
Ces ouvertures permettront aux partenaires conventionnels d'engager des réformes structurelles qui dégageront des économies nettes substantielles sur les dépenses d'assurance maladie. La nouvelle convention des médecins généralistes approuvée le 4 décembre inclut déjà une disposition, l'option « médecin référent », qui entre dans cette logique. Cette option permet de développer une médecine plus qualitative et attachée à un suivi global du patient qui, à elle seule, sera source d'économie. Elle se traduit par un certain nombre d'engagements du patient et du médecin référent qui visent à cet objet. En prenant un seul des engagements, celui sur le développement de la prescription des médicaments génériques, on peut estimer l'économie potentielle à 850 MF sur un an, si environ 25 % des généralistes choisissent de devenir médecin référent et appliquent l'engagement de prescription à l'ensemble de leur activité.
Cette mesure a donc une incidence significative sur les comptes de l'assurance maladie.
2. En second lieu, l'article 22 n'est pas contraire à l'article 34 de la Constitution.
Les dérogations aux dispositions législatives du code de la sécurité sociale, que les partenaires conventionnels peuvent décider dans le cadre des réseaux de soins, sont à la fois précises et strictement encadrées dans leur contenu. En effet, le II de l'article L. 162-31-1 du CSS, auquel renvoient les nouvelles dispositions de l'article L. 162-5 issues de l'article 22 de la loi déférée, énumère limitativement les articles du code auxquels des dérogations peuvent être apportées, et limite l'étendue de ces dérogations à certains aspects seulement des relations entre le médecin « référent » et son patient.
En particulier, parmi les dérogations autorisées aux principes déontologiques fondamentaux de la médecins libérale posés par l'article L. 162-2, ne figure pas la possibilité de déroger au libre choix du médecin par le malade ni à la liberté de prescription. Ainsi le texte n'ouvre-t-il aux partenaires conventionnels que la possibilité de mettre en oeuvre des dérogations, que la loi définit précisément, à des principes de moindre portée, et qui n'ont trait qu'aux relations financières entre le médecin et le patient :
- tarifs des honoraires servant de base au remboursement ;
- paiement direct des honoraires par le malade ;
- champ des frais couverts par l'assurance maladie ;
- règles de participation de l'assuré aux tarifs servant de base au remboursement (ticket modérateur).
Au demeurant, une telle possibilité de dérogation n'est pas sans précédent : les articles L.322-1 et L. 322-3 du code de la sécurité sociale donnent déjà au pouvoir réglementaire compétence pour instaurer une dérogation de même nature aux règles concernant, respectivement, le paiement direct par l'assuré et sa participation.
III. - Sur la modification des critères de l'allocation de remplacement en cas de cessation anticipée d'activité des médecins (art. 24)
A. - L'article 24 concerne le mécanisme d'incitation à la cessation anticipée d'activité des médecins (MICA).
1. Il est apparu que ce mécanisme, tout en ayant un impact sur la démographie médicale, pouvait avoir des effets contraires à une bonne répartition de l'offre de soins.
L'article 24 tend donc à fournir un outil de régulation de la démographie médicale plus fin et mieux adapté aux besoins sanitaires. Il permet une modulation, à compter du 1er juillet 1999, du droit à l'allocation de remplacement selon la zone géographique, la qualification de généraliste ou de spécialiste et, pour les spécialistes, selon la spécialité.
Les possibilités de modulation du MICA sont étendues par ailleurs aux aides à la reconversion que les parties conventionnelles peuvent instituer.
2. Pour contester cette disposition, les députés saisissants font valoir qu'elle porte atteinte au principe d'égalité, dans la mesure où tous les médecins sont appelés à cotiser sur les mêmes bases, alors que certains ne bénéficieront pas du droit aux prestations correspondantes. Ils considèrent en outre que la loi ne définit pas suffisamment les modalités et les critères de la modulation.
B. - Le Conseil constitutionnel ne pourra faire sienne cette argumentation.
D'une part, il est de la nature même d'un tel dispositif incitatif de ne pas bénéficier de manière indifférenciée à tous les médecins, mais d'être réservé à ceux qui remplissent certaines conditions. En l'espèce, celles-ci sont définies de manière pertinente, dès lors qu'il est clair que la démographie médicale ne se présente pas de la même manière selon la zone géographique, la qualification de généraliste ou de spécialiste et, pour ces derniers, selon la spécialité. Compte tenu des incidences de cette démographie sur les comptes de l'assurance maladie et sur l'offre de soins, il est légitime de se fonder sur de semblables critères, pour ne faire jouer le dispositif incitatif que là où l'intérêt général le justifie.
D'autre part, il est conforme aux règles régissant la compétence du législateur en la matière, laquelle se limite à la détermination des principes fondamentaux, que la loi se borne à définir le principe d'une mise sous condition de cette aide, ainsi que la nature des critères et conditions, laissant au pouvoir réglementaire le soin de les mettre en oeuvre. La disposition contestée n'a donc pas méconnu l'article 34 de la Constitution.
IV. - Sur le mécanisme de régulation
des dépenses de santé des médecins (art. 26)
A. - L'article 26 instaure un dispositif de régulation des dépenses médicales donnant aux partenaires conventionnels de larges responsabilités et assurant un meilleur suivi des dépenses.
1. Il introduit en particulier, dans le champ conventionnel, l'obligation d'assurer un suivi des dépenses au cours de l'année. Il prévoit qu'une annexe aux conventions fixe les objectifs de dépenses médicales, ainsi que les tarifs. Elle peut comporter un mécanisme de « tunnel » de part et d'autre de l'objectif, permettant de ne déclencher les mécanismes d'ajustement qu'au cas où les dépenses constatées de l'exercice sont inférieures à la borne basse, ou supérieures à la borne haute du tunnel.
L'article 26 prévoit que les partenaires conventionnels devront procéder, au titre de l'année écoulée, à l'établissement du constat des dépenses médicales, lesquelles seront comparées à l'objectif de ce même exercice. Si les dépenses constatées sont inférieures à l'objectif, une fraction de la différence sera versée à un fonds de régulation. L'article 26 prévoit également un mécanisme conventionnel de régulation infra-annuel, au vu des dépenses des quatre et huit premiers mois de l'année. Les partenaires conventionnels pourront éventuellement corriger la tendance d'évolution des dépenses médicales par des mesures portant notamment sur les tarifs.
Si les dépenses excèdent l'objectif et si les sommes disponibles au fonds de régulation sont insuffisantes, une contribution conventionnelle pourra être mise à la charge des médecins adhérant à la convention, en fonction du dépassement sur les honoraires et les prescriptions. Pour chaque médecin, elle tiendra compte du revenu qu'il tire de son activité libérale.
2. Les requérants adressent plusieurs critiques à ce mécanisme.
Ils lui font d'abord grief de poser le principe d'une responsabilité collective des médecins qui se heurterait au principe de responsabilité individuelle régissant le droit français, tant pénal que civil et administratif. Ils en déduisent qu'une agrégation de comportements individuels indépendants les uns des autres ne saurait être à l'origine de la mise en oeuvre d'une responsabilité collective de l'ensemble des intéressés, sauf à méconnaître, par là même, le principe d'égalité.
Les députés saisissants reprochent ensuite à ce dispositif de renvoyer indûment à la convention ou à un décret en Conseil d'Etat les conditions dans lesquelles le taux de cette contribution est modulé en fonction du niveau des revenus, ainsi que la détermination d'un abattement forfaitaire du montant de la contribution due par chaque médecin.
Ils soutiennent également que ce mécanisme présente un caractère confiscatoire, contraire au droit de propriété garanti par l'article 27 de la Déclaration de 1789. En outre le mécanisme de variation des lettres clés constitue, à leurs yeux, une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et au libre exercice de la profession protégé par l'article 4 de la même Déclaration.
Enfin, les requérants font valoir qu'en prévoyant que les litiges relatifs à la décision de déconventionnement du médecin par la caisse primaire d'assurance maladie sont de la compétence du juge administratif, le nouvel article L. 162-5-4 du code de la sécurité sociale méconnaît l'article 66 de la Constitution.
B. - Pour sa part, le Gouvernement considère qu'aucun de ces moyens n'est de nature à justifier la censure de l'article 26.
A titre liminaire, il paraît nécessaire de fournir les indications suivantes.
Les enseignements tirés de l'application de l'ordonnance du 24 avril 1996 ont conduit le Gouvernement à souhaiter mettre fin aux difficultés auxquelles a donné lieu, tant le mécanisme d'individualisation prévu par cette ordonnance, que le décalage d'une année entre le dépassement de l'objectif et l'intervention de mesures de redressement. C'est pourquoi a été préféré un mécanisme de suivi infra-annuel de l'évolution des dépenses de médecine de ville, permettant notamment aux partenaires conventionnels, dans l'hypothèse où l'évolution des dépenses ne serait pas compatible avec l'objectif national des dépenses médicales, découlant de la loi de financement de la sécurité sociale, de moduler en cours d'année le tarif de remboursement de certains actes. C'est seulement si ces mesures ne permettent pas de respecter l'objectif d'évolution des dépenses qu'un reversement pourrait être mis à la charge des médecins l'année suivante.
1. La principale question que pose l'argumentation des requérants est celle de la nature juridique de ce prélèvement. Pour sa part, le Gouvernement considère qu'il ne s'agit ni d'une imposition, ni d'une sanction.
a) Ce n'est, en effet, pas une imposition. Sans doute la jurisprudence a-t-elle tendance à faire prévaloir une conception extensive de la notion d'imposition de toute nature, qui désignerait tout prélèvement effectué par voie d'autorité, sans contrepartie directe, et qui ne correspond ni aux caractéristiques d'une taxe parafiscale, ni à celle d'une cotisation sociale, ni à celles d'une redevance pour service rendu.
Mais cette définition large, propre aux prélèvements effectués par voie d'autorité, ne saurait s'appliquer à un mécanisme d'intéressement qui peut fonctionner dans les deux sens et qui, lorsqu'il donne lieu à versement, ne s'applique qu'à ceux qui ont choisi d'adhérer au dispositif conventionnel.
En mettant en place un mécanisme d'ajustement global reposant sur l'intéressement des praticiens qui choisissent d'adhérer à la convention, le dispositif contesté postule nécessairement l'existence d'une contrepartie aux avantages que les médecins conventionnés tirent de leur adhésion à la convention, lesquels tiennent notamment à la solvabilisation, par les régimes sociaux, de la demande de soins des assurés. La contribution prévue en fonction de l'évolution des dépenses médicales constitue l'un des éléments des relations conventionnelles. Elle est le corollaire de la participation des représentants des praticiens à la fixation de l'objectif prévisionnel d'évolution des dépenses.
Les médecins qui préfèrent demeurer en dehors de la convention ne peuvent y être soumis. A cet égard, il faut souligner que le choix du conventionnement n'emporte de conséquences que sur le remboursement des honoraires, les prescriptions étant, en revanche, remboursées dans les mêmes conditions aux patients de ces médecins qu'à ceux des médecins conventionnés.
Par ailleurs, la circonstance que cette contribution soit répartie entre les médecins en fonction de leurs revenus tirés de cette activité n'est pas davantage de nature à lui conférer un caractère fiscal. Il est exact que le critère ainsi retenu n'a pas, a priori, nécessairement de lien direct avec le dépassement de l'objectif prévisionnel des dépenses médicales : l'objectif n'est défini que pour les dépenses remboursables, tandis que la part du revenu professionnel des médecins correspondant aux dépassements d'honoraires conventionnels autorisés pour les médecins du secteur II inclut, par construction, des dépenses non remboursables.
Mais rien n'interdisait au législateur d'imposer aux partenaires conventionnels une règle garantissant que le poids du reversement, que les médecins ayant adhéré au dispositif pourraient être conduits à effectuer, ne puisse avoir pour conséquence de les priver d'une part trop importante de leur revenu.
Le critère ainsi retenu est en outre justifié par les éléments suivants :
- d'une part, les médecins libéraux conventionnés tirent l'essentiel de leur revenu de l'activité remboursée par la sécurité sociale. Les dépassements d'honoraires ne sont possibles que dans la mesure où la convention l'autorise (dépassement exceptionnel, dépassement permanent, secteur II) ; ils ne peuvent donc être totalement détachés de l'activité « remboursée » ;
- d'autre part, une assiette fondée sur le revenu net imposable tiré de cette activité libérale permet de tenir compte des charges effectivement payées. En effet les honoraires dépendent d'un niveau des « lettres clés », lui-même calculé en tenant compte des charges. Ainsi, la valeur des lettres clés telles que le K ou le Z est fixée en tenant compte du financement des charges techniques liées à l'amortissement et au fonctionnement d'appareillage. Un médecin qui « cote » des actes en K ou en Z plutôt qu'en C peut donc arriver, à activité identique, à une masse d'honoraire plus importante, mais, après déduction des charges, à un revenu équivalent. L'assiette retenue par le dispositif contesté est donc celle qui est la plus proche de l'activité purement médicale.
b) Le mécanisme d'ajustement ainsi mis en place ne peut pas, non plus, être assimilé à une sanction à laquelle s'appliqueraient les règles du droit répressif.
Comme il a été dit plus haut, il s'agit d'un mécanisme d'intéressement qui peut jouer aussi bien dans un sens favorable. Un tel mécanisme n'est pas d'une nature différente de celui, classique, qui conduit à se fonder sur des résultats constatés pour revaloriser ou, le cas échéant, diminuer, la valeur des lettres clés.
Cette analyse est conforme à celle qu'avait retenue le Conseil d'Etat dans son arrêt du 30 avril 1997 relatif aux dispositions, à cet égard comparables, de l'ordonnance de 1996 instaurant l'objectif des dépenses médicales et le principe du reversement en cas de dépassement.
Les conclusions du commissaire du gouvernement avaient notamment insisté sur l'absence de lien automatique entre la contribution demandée et le comportement individuel d'un médecin puisque « un médecin, pris isolément, ne peut à l'avance modifier son activité de façon à être certain d'être exempté de reversement et un professionnel peut se trouver assujetti à un reversement alors même que sa pratique aurait été en tout point conforme aux principes d'économie fixés par le législateur ».
Le nouveau dispositif ne fait que renforcer cette approche. Il élimine en particulier les critères d'individualisation qui existaient dans le précédent dispositif mais qui se sont révélés impraticables. De tels critères devaient conduire, en poussant la logique juqu'au bout, non seulement à établir un « profil » pour chaque médecin, mais en outre à tenir compte des types de pathologies de sa clientèle et de l'évolution de celle-ci. Ils rendraient indispensable un contrôle individuel systématique des médecins et des patients.
C'est pourquoi le Gouvernement et le Parlement ont estimé qu'il était préférable de revenir à un dispositif d'ajustement collectif sur sa partie « contribution », comme il l'était déjà sur sa partie « revalorisation », sans se fonder sur de vaines distinctions entre médecins « vertueux » et médecins « non vertueux ».
En préférant ce mécanisme à celui qui avait été envisagé auparavant, le Parlement s'est borné à exercer le pouvoir d'appréciation qui lui appartient, et qui ne saurait être remis en cause dans le cadre du contrôle de la loi adoptée, dès lors que cette appréciation ne se heurte à aucune règle ni aucun principe à valeur constitutionnelle.
2. Ce dispositif ne méconnaît pas davantage le principe d'égalité.
On remarquera que le moyen des requérants n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier la portée. Au demeurant, les modalités de versement de la contribution conventionnelle sont identiques pour les médecins du secteur I et du secteur II. En tout état de cause, on ne saurait, sans donner au principe d'égalité une portée qui ne lui a jamais été reconnue, le comprendre comme faisant obligation au législateur de prévoir systématiquement des mesures distinctes pour régler des situations pouvant présenter des différences.
3. L'article 26 ne méconnaît pas non plus l'étendue de la compétence du législateur.
a) En premier lieu, il est conforme à la répartition des compétences en matière de « principes fondamentaux », au sens de l'article 34 de la Constitution, que le montant du reversement, comme celui de la revalorisation, soient déterminés en fonction de règles fixées par décret, compte tenu de la responsabilité différenciée des médecins sur leurs honoraires et leurs prescriptions.
Le décret en Conseil d'Etat dont l'intervention est prévue permettra de déterminer le montant total de la contribution due par l'ensemble des médecins libéraux conventionnés, mais c'est bien la loi qui indique que ce montant est calculé en fonction des honoraires et des prescriptions.
Le décret fixera une règle de calcul différenciée en fonction du sous-objectif relatif aux honoraires et du sous-objectif relatif aux prescriptions : la contribution sera donc égale au pourcentage du dépassement du sous-objectif des honoraires, auquel s'ajoutera un pourcentage du dépassement du sous-objectif des prescriptions, à condition que ce total n'excède pas le montant total du dépassement de l'objectif global constitué des honoraires et des prescriptions. En tout état de cause, le Gouvernement peut indiquer qu'il envisage de fixer ce taux à 80 % des dépassements d'honoraires et 5 à 10 % pour les dépassements de prescriptions.
Afin de tenir compte de l'importance des prescriptions dans le total des dépenses et du fait que ces prescriptions ne constituent pas un revenu pour les médecins, la part de la contribution calculée sur le dépassement du sous-objectif des prescriptions sera plafonnée à un pourcentage des honoraires perçus, que le Gouvernement se propose de fixer à 1 %. Ce plafonnement permettra d'éviter que la part de la contribution sur ce sous-objectif puisse conduire à prélever une partie trop importante. Ainsi, non seulement le législateur ne méconnaît pas sa compétence, mais en outre ce mécanisme ne saurait être regardé comme revêtant un caractère confiscatoire.
C'est également en conformité à la Constitution que des conditions particulières de recouvrement seront fixées par décret.
Afin d'éviter que les médecins redevables de montants de peu d'ampleur ne soient soumis au prélèvement pour de faibles sommes, il est prévu d'opérer, sur le montant de la contribution due par chaque médecin, un abattement forfaitaire. S'agissant de l'encadrement d'un dispositif conventionnel, une telle mesure est au nombre de celles qu'il appartient au Gouvernement de prendre, en application de dispositions combinées des articles 34 et 37 (no 89-269 DC du 22 janvier 1990).
b) En second lieu, le fait que la loi ouvre à la convention des marges d'ajustement ne paraît pas davantage contestable.
La convention devra déterminer, dans un premier temps, l'étendue de l'exonération, dont la loi a elle-même fixé le principe, pour les médecins installés depuis moins de sept ans.
La convention peut ensuite moduler, dans le cadre des critères définis par la loi, la clé de répartition du montant global de la contribution entre les médecins libéraux conventionnés. On rappellera que la loi prévoit deux critères : le niveau de revenu et l'appartenance à un des deux secteurs de la convention (secteur I à honoraires encadrés ; secteur II à honoraires libres).
Il faut d'ailleurs noter que, en l'espèce, cette délégation de la loi à la convention reste en deçà de celle qui est accordée dans d'autres dispositifs de régulation. Ainsi, dans le dispositif des biologistes, l'article L. 162-14-2 du code de la sécurité sociale, dont la conformité à la Constitution a été admise (no 91-296 DC du 29 juillet 1991), prévoit que c'est une annexe annuelle à la convention qui détermine intégralement les modalités de l'ajustement des dépenses à l'objectif.
En tout état de cause, et dès lors que la convention ne peut entrer en vigueur qu'après approbation par l'autorité ministérielle, cette délégation limitée ne méconnaît nullement les articles 34 et 37 de la Constitution (no 89-269 DC précité).
4. Enfin, il est clair que les requérants se méprennent sur la portée de l'article 66 de la Constitution en soutenant que le contentieux des mesures de « déconventionnement » ne peut être attribué à la juridiction administrative.
V. - Sur la contribution des médecins pour 1998 (art. 27)
A. - L'article 27 confirme les objectifs des dépenses médicales fixés par les parties conventionnelles pour 1998 et repris dans l'arrêté du 10 juillet 1998 portant règlement conventionnel minimal ; il fixe les règles applicables en cas de respect ou de non-respect de ces objectifs. Si les objectifs sont respectés, les dispositions de l'article 26 s'appliquent : la différence entre les dépenses constatées et l'objectif est versée au fonds de régulation.
Les députés, auteurs de la première saisine, considèrent qu'en adoptant cet article , le législateur a méconnu sa compétence, faute d'avoir déterminé le seuil de déclenchement de ce qui leur apparaît comme des sanctions, le montant exigible des médecins, ainsi que les modalités de calcul des reversements.
Les sénateurs, auteurs de la seconde saisine, estiment en outre que cet article méconnaît, par son imprécision, le principe de légalité des délits et des peines.
B. - Cette argumentation n'est pas fondée.
1. En premier lieu, l'argumentation tirée des règles qui régissent les sanctions, et notamment de celles qui encadrent la législation pénale, est inopérante.
Pas plus que le mécanisme d'ajustement défini, pour l'avenir, par l'article 26, et pour les mêmes raisons, l'article 27 ne met en place un régime de sanction auquel cet encadrement constitutionnel spécifique pourrait être opposable.
2. En second lieu, il convient de souligner que l'objet de l'article 27 est d'appliquer, à partir d'objectifs de dépenses médicales consolidés par la loi, le nouveau système de régulation, et notamment la contribution conventionnelle, en prenant en compte les règles qui étaient en vigueur au début de l'année 1998. Ces règles étaient déjà connues et résultaient, pour partie, d'un décret pris en application des anciennes dispositions de l'article L. 162-5-3.
On ne peut reprocher à cet article de rester en deçà de la compétence assignée au législateur par la Constitution, dès lors que sa rédaction procède au même type de renvoi que celle de l'article 26, dont il a été démontré ci-dessus qu'il n'est pas entaché d' « incompétence négative ». Ainsi, le législateur a renvoyé, tout comme dans le dispositif actuel, à un décret le soin de déterminer le montant global exigible en cas de dépassement. Ce décret permettra de fixer pour 1998 des modalités de calcul qui ne retiendront pas des taux plus élevés que ceux en vigueur sous l'ancien dispositif.
Pour 1998, le Gouvernement se propose d'appliquer les taux de 80 % sur les dépassements d'honoraires et 5 % sur les dépassements de prescriptions, dans la limite, pour ces derniers, de 1 % du montant des honoraires remboursables.
Quant aux modalités de calcul de la contribution de chaque médecin, le renvoi aux règles prévues par les III et IV de l'article 26 signifie qu'elles tiendront compte, de la même manière, du niveau des revenus des médecins.
VI. - Sur le mécanisme de régulation
des dépenses du médicament (art. 30 et 31)
A. - Les articles 30 et 31 concernent le mécanisme de régulation des dépenses du médicament, qui repose notamment sur des conventions entre les entreprises pharmaceutiques et le comité économique du médicament, en vue notamment de fixer le prix des médicaments pris en charge par l'assurance maladie.
1. L'article 30 précise que les conventions déterminent les relations entre le comité et chaque entreprise, notamment le prix des médicaments qu'elles visent. Le comité est en outre chargé d'assurer un suivi de l'évolution des dépenses de médicaments au regard de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM), prévu à l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale. Le comité peut demander aux entreprises de modifier leurs prix, afin de rendre les conventions compatibles avec l'objectif précité. En cas de refus d'une entreprise de signer un avenant, le comité peut résilier la convention.
Afin de prévoir une clause de sauvegarde économique pour les entreprises n'ayant pas conclu de convention, l'article 31 institue une contribution qui n'est prélevée que lorsque le chiffre d'affaires de l'ensemble de ces entreprises s'est accru d'un taux supérieur au taux de progression de l'ONDAM.
2. Les députés requérants estiment que les dispositions combinées de ces deux articles présentent le caractère d'une sanction, à caractère automatique, qui serait, selon eux, prohibée par l'article 8 de la Déclaration de 1789. Ils considèrent en outre que ce mécanisme méconnaît le principe de proportionnalité, en raison notamment d'effets de seuil.
La saisine sénatoriale y ajoute plusieurs critiques tenant au défaut de pertinence des critères retenus par l'assiette de ce prélèvement.
B. - Le Gouvernement considère que ces critiques ne sont pas fondées.
1. En premier lieu, les moyens tirés d'une méconnaissance des règles régissant les sanctions sont inopérants, dès lors qu'ils se méprennent sur la nature exacte de ce mécanisme.
Il importe, en effet, de rappeler que l'article 31 institue une contribution qui est versée par les entreprises exploitant des médicaments remboursables, sur la base de leur chiffre d'affaires, de la progression de celui-ci ainsi que de leurs dépenses promotionnelles.
A la différence essentielle au mécanisme, évoqué plus haut, de la contribution conventionnelle des médecins, le présent article rend l'ensemble des entreprises exploitant des médicaments remboursables redevables de cette contribution, qui a ainsi le caractère d'une imposition. Toutefois, cette imposition ne se déclenche que lorsque la progression du chiffre d'affaires des médicaments remboursables dépasse celle de l'ONDAM.
Il est exact qu'il est également prévu que les entreprises qui auront conclu une convention avec le comité économique du médicament, en application de l'article 30, bénéficient d'une possibilité d'exonération du versement de cette contribution, sous certaines conditions. Ce faisant, la loi n'a pas, pour autant, introduit une rupture d'égalité entre les entreprises redevables.
En effet, ce sont bien l'ensemble des entreprises qui sont susceptibles de remplir les conditions requises pour bénéficier de cette exonération : il leur suffit de conclure une convention avec le comité économique du médicament entre le 1er janvier et le 31 décembre 1999, concernant l'ensemble des médicaments remboursables qu'elles exploitent, avec des engagements portant sur leur chiffre d'affaires.
Cette disposition incite en outre les entreprises à choisir la voie conventionnelle et à contribuer ainsi à la mise en oeuvre d'une politique conforme à l'intérêt général, et notamment à la maîtrise des dépenses de santé.
Une telle exonération se justifie par le fait que les entreprises ayant passé convention dans les conditions prévues se sont engagées dans un processus de régulation des dépenses pharmaceutiques par la voie conventionnelle. Elles apportent ainsi leur contribution à l'équilibre des comptes de l'assurance maladie. Un assujettissement à la contribution prévue par l'article 31 serait, compte tenu de l'objet de ce prélèvement, injustifié.
Il résulte de l'économie générale de ce dispositif que la possibilité légale de résiliation de la convention à l'initiative du comité économique du médicament ne saurait s'analyser comme un mécanisme de sanction auquel s'appliqueraient les règles régissant le droit répressif. Cette possibilité permet seulement de prendre acte du choix de l'entreprise de sortir du mode conventionnel de régulation des dépenses pharmaceutiques et des engagements réciproques qui s'y attachent. Il est légitime qu'en conséquence, l'entreprise « réintègre » le droit commun de la contribution.
2. En deuxième lieu, c'est à tort que les requérants se fondent, pour soutenir que l'article 31 est contraire à la Constitution, sur le fait que le chiffre d'affaires taxé ne correspondrait pas exactement aux dépenses effectives de l'assurance maladie.
En effet, il convient de rappeler que le chiffre d'affaires en France d'un laboratoire pharmaceutique se partage en trois :
- le chiffre d'affaires obtenu par la vente des médicaments non remboursables ;
- celui obtenu par la vente des médicaments à l'hôpital ;
- enfin celui obtenu par la vente de médicaments remboursables en officine de ville.
Seul ce dernier élément du chiffre d'affaires est pris en compte dans le mécanisme contesté. Il est vrai qu'une partie des médicaments remboursables n'est pas remboursée. C'est le cas lorsque le médicament délivré n'a pas fait l'objet d'une prescription médicale : il s'agirait de l' « automédication de médicaments remboursables ». En outre, les dépenses d'assurance maladie concernant les médicaments ne correspondent pas à la prise en charge de la totalité des ventes de médicaments du fait de l'application d'un ticket modérateur. Enfin, une partie du chiffre d'affaires afférant aux médicaments remboursables fait l'objet d'exportations, et une partie des remboursements des caisses correspond à des médicaments prescrits et délivrés à l'étranger.
Le Gouvernement considère toutefois que les critères retenus par le législateur pour définir l'assiette du prélèvement sont pertinents, eu égard à l'objet de ce dispositif.
On soulignera d'abord que les médicaments remboursables en officine relèvent tous du même régime juridique, dont la caractéristique essentielle est que l'Etat fixe leur prix de vente, même s'ils ne sont pas ensuite effectivement remboursés.
C'est pourquoi, d'ailleurs, la prise en compte du chiffre d'affaires remboursable est la solution qui a été régulièrement retenue lorsqu'il s'est agi de créer des taxes sur le médicament (taxe sur la distribution de l'article L. 138-1 du CSS, taxe sur les ventes directes de médicament du L. 245-6 du CSS, taxe sur la promotion pharmaceutique L. 245-1 ou taxe de l'article 12 de l'ordonnance du 24 janvier 1996 relative aux mesures urgentes tendant au rétablissement de l'équilibre financier de la sécurité sociale).
S'agissant de l'article 12 de l'ordonnance du 24 janvier 1996, il n'est pas indifférent de relever que le Conseil d'Etat a considéré, dans son arrêt société Baxter du 14 mars 1997, que l'assiette en cause - analogue à celle qui est critiquée ici - avait été « définie en fonction de critères objectifs au regard de la finalité de contribution des entreprises exploitant des spécialités pharmaceutiques au financement de la protection sociale et à l'équilibre financier des organismes qui y concourent ; qu'en particulier, ces critères sont liés à la part prise par ces entreprises dans les dépenses d'assurance maladie des régime obligatoires de base de la sécurité sociale (...) ».
Tout aussi logique est le choix, retenu par le Parlement, de donner à l'article 31 instaurant la contribution le même champ d'application que l'article 30, qui a précisément pour objet de définir les conventions dont la conclusion permet d'exonérer les entreprises signataires du versement de cette contribution. Or ces conventions, qui sont signées avec les entreprises, ne peuvent porter que sur le chiffre d'affaires des médicaments remboursables en officine de ville et non sur le chiffre d'affaires des médicaments effectivement remboursés.
En effet, les entreprises ne peuvent connaître le montant que représente le non-remboursement des médicaments remboursables pour chacun de ceux qu'elles commercialisent. Elles ne pourraient donc déclarer un tel montant.
Tous taux de remboursement confondus, l'assurance maladie assure le financement de 72 % du chiffre d'affaires TTC (marges de distribution et TVA incluses) des médicaments remboursables. Compte tenu de ces marges et du taux moyen de prise en charge, le montant que représente cette prise en charge correspond à peu près au chiffre d'affaires des médicaments remboursables réalisé par l'industrie pharmaceutique. Il ne peut donc être mis en doute que les dépenses de l'assurance maladie, en matière de médicament, sont en rapport étroit avec le chiffre d'affaires de l'industrie pharmaceutique.
On soulignera enfin que la contribution en cause constitue un impôt dont l'assiette, définie de façon précise (« chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France »), exclut le chiffre d'affaires réalisé à l'exportation et, par définition, celui réalisé hors de France par des entreprises étrangères, même si celui-ci a fait l'objet de remboursements par les caisses d'assurance maladie françaises. Il convient de rappeler, à cet égard, que le champ d'application des taxes sur le chiffre d'affaires, notamment la TVA, a, en règle générale, un caractère territorial.
3. En troisième lieu, la constitutionnalité de ce mécanisme ne saurait être affectée par la circonstance, relevée par les requérants, que les entreprises n'auraient pas la maîtrise complète du chiffre d'affaires qu'elles réalisent au titre des médicaments remboursables, dès lors que le Gouvernement a la possibilité de modifier le champ du remboursement.
En effet, ce sont les entreprises qui sollicitent le remboursement de leurs médicaments et non le Gouvernement qui place d'office un médicament dans le champ du remboursement. Le champ de ce qui est remboursable dépend donc avant tout des entreprises. De surcroît, le chiffre d'affaires des spécialités pharmaceutiques dépend non seulement du prix octroyé aux médicaments mais aussi des quantités vendues par les entreprises. Ces dernières ont donc une responsabilité dans le volume, notamment à travers leur politique de promotion. Sans cette maîtrise de leur chiffre d'affaires, elles ne se seraient pas engagées par convention dans des clauses de volume, comme elles l'ont toutes fait ces dernières années.
4. En quatrième lieu, le caractère pertinent du second agrégat choisi pour déclencher l'assujettissement, à savoir le taux d'évolution de l'ONDAM, ne saurait être utilement contesté au motif qu'il ne représente pas uniquement les dépenses pharmaceutiques.
L'utilisation de la contribution instituée par l'article 31, combinée avec le dispositif conventionnel de fixation des prix des médicaments défini à l'article 30, permet d'assurer une compatibilité de l'évolution des chiffres d'affaires de l'industrie avec l'ONDAM, ce qui ne signifie pas, pour autant, une évolution limitée à celle de l'ONDAM. Il s'agit en effet d'une contribution basée sur l'existence d'un dépassement et non d'une contribution permettant un reversement intégral de ce dépassement : il ne s'agit donc pas d'un dispositif de sanction, mais d'un impôt assurant la sauvegarde économique de certaines dépenses d'assurance maladie.
Ainsi, le taux de progression de l'ONDAM est une référence qui permet de mesurer la rapidité relative de l'évolution des dépenses de médicament par rapport à l'ensemble des dépenses de santé, et donc de calibrer le retour sur bénéfice qui est demandé à l'industrie. De ce point de vue, le dispositif est adapté au cas de l'industrie pharmaceutique.
5. Enfin, c'est en vain que les requérants font grief à ce mécanisme de méconnaître un principe de « proportionnalité » en raison de l'existence d'une progressivité, et de créer des effets de seuil, à leurs yeux disproportionnés.
S'agissant d'abord de la progressivité de la taxe, elle ne saurait constituer un élément d'inconstitutionnalité. Nombre d'impôts sont progressifs, notamment des impôts qui frappent le secteur de la pharmacie et du médicament : taxe sur la distribution de l'article L. 138-1 du CSS ; contributions de l'ordonnance du 24 janvier 1996 sur les entreprises pharmaceutiques. Sur cette dernière, le Conseil d'Etat a considéré dans un arrêt du 28 mars 1997 que « le caractère progressif de la contribution assise sur l'accroissement du chiffre d'affaires enregistré en 1995 par rapport à 1994 n'est pas davantage contraire à cette dernière règle », c'est-à-dire celle qui prescrit de tenir compte de la faculté contributive des redevables.
La même analyse ne peut donc qu'être transposée ici.
Quant aux effets de seuil, ils sont d'une ampleur limitée (au maximum 15 % de la valeur de la croissance du chiffre d'affaires d'une année sur l'autre), comparable à celle que l'on retrouve dans d'autres taxes, telle celle qui s'applique aux distributeurs de médicament (article L. 138-1 du code de la sécurité sociale).
On soulignera enfin que le niveau de la taxe à acquitter correspond à une partie seulement de la croissance du chiffre d'affaires. Ce n'est qu'au-delà du seuil de déclenchement, lequel correspond à une progression notable du chiffre d'affaires, que la contribution demandée aux laboratoires concernés peut être comprise entre 5 % et 45 % de la croissance du chiffre d'affaires global des entreprises du secteur. La vente d'une unité supplémentaire entraîne des coûts marginaux uniquement sur les postes de production et de commercialisation, qui représentent une faible part des coûts dans le domaine du médicament, lesquels correspondent, pour la plupart, à des coûts de recherche et de développement.
Le prélèvement, même à son maximum, laisse donc une marge suffisante aux entreprises. On ne peut donc sérieusement soutenir qu'il présente un caractère confiscatoire.
Il ne se heurte ainsi à aucune règle, ni aucun principe constitutionnel.
VII. - Sur l'article 38
A. - L'article 38 de la loi déférée complète l'article L. 351-12 du code de la sécurité sociale, afin de prévoir que la majoration pour enfants des pensions de vieillesse est incluse dans le calcul du plafond de cumul des avantages personnels de vieillesse et d'une pension de réversion.
Selon les requérants, il résulterait de la jurisprudence de la Cour de cassation, suivant laquelle cette majoration constitue un avantage distinct de la pension elle-même, que son inclusion dans le plafond de cumul serait contraire au principe d'égalité devant les charges publiques.
B. - Le Conseil constitutionnel ne pourra faire sienne cette argumentation.
La majoration, soumise à CSG, n'a aucune raison d'être considérée comme un avantage distinct du reste de la pension servie, dont elle est partie intégrante.
La distinction opérée par la Cour de cassation pour l'opération très spécifique consistant à calculer les limites de cumul entre une pension de réversion et une pension de droit direct avait pour effet de favoriser, au titre de ce calcul, certains assurés sociaux, au demeurant ceux bénéficiant d'une pension élevée, et risquait d'entraîner des dépenses supplémentaires élevées pour le régime général.
L'inclusion de la majoration pour enfants dans les limites de cumul entre une pension de réversion et une pension de droit direct n'est en rien contraire au principe d'égalité devant les charges publiques. Au contraire, c'est l'exclusion de cette majoration qui permettrait à certains pensionnés de bénéficier d'un montant plus élevé de leur pension de réversion, alors même qu'ils n'ont supporté aucune cotisation supplémentaire durant leur carrière. En effet, on rappellera que le service de la majoration pour enfant est entièrement pris en charge par la solidarité nationale par le canal du fonds de solidarité vieillesse (financé par la contribution sociale généralisée et diverses ressources fiscales) et ne comporte donc, de la part de ses bénéficiaires, ressortissants du régime général des salariés, aucune cotisation en contrepartie des prestations versées.
L'inclusion de la majoration pour enfants dans les limites de cumul prévue au IV de l'article 38 est donc conforme au principe de l'égalité devant les charges publiques.
VIII. - Sur le rattachement de certaines dispositions
au domaine des lois de financement de la sécurité sociale
Les parlementaires saisissants estiment que plusieurs dispositions n'ont pas leur place dans une loi de financement de la sécurité sociale, dont le champ est défini par l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale, faute d'affecter directement l'équilibre financier des régimes de base ou de se rapporter au contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale.
Ces critiques appellent, de la part du Gouvernement, les deux types de remarques suivantes.
A. - S'agissant, en premier lieu, de l'article 28 relatif à la facturation détaillée des fournitures utilisées par les professionnels de santé, il convient de relever que la question de la recevabilité de l'amendement qui est à l'origine de cette disposition n'a pas été débattue dans les conditions qu'implique le dernier alinéa de l'article LO 111-3, c'est-à-dire selon les formes définies par les règlements des assemblées (no 96-384 DC du 19 décembre 1996 ; no 97-393 DC du 18 décembre 1997).
Les députés requérants ne peuvent donc soumettre directement cette question au Conseil constitutionnel.
B. - S'agissant, en second lieu, des deux articles contestés dans la saisine des sénateurs, rien ne s'oppose à ce que la question de la méconnaissance du champ des lois de financement soit soulevée devant le Conseil constitutionnel, dès lors qu'elle l'a auparavant été au cours des débats parlementaires.
Mais sur le fond, le Gouvernement ne partage pas le sentiment des auteurs de la saisine.
1. En effet, l'article 32 a pour objet de donner aux directeurs d'agences régionales de l'hospitalisation, lorsqu'ils sont saisis de demandes d'autorisation de changement de lieu d'implantation de cliniques ne donnant pas lieu à un regroupement d'établissements, de subordonner cette autorisation à des engagements, de la part de l'établissement, de modération des dépenses à la charge de l'assurance maladie occasionnées par son activité.
En ce qu'elle est de nature à occasionner, pour l'assurance maladie, une économie significative, cette disposition a vocation à figurer dans une loi de financement de la sécurité sociale : le montant moyen des économies procurées par opération de ce type étant estimé à 5 MF, à raison de quelques dizaines d'opérations chaque année.
2. Quant à l'article 34, l'insertion de ces dispositions dans la loi de financement de la sécurité sociale est également justifiée par son incidence sur le mécanisme de maîtrise des dépenses d'assurance maladie.
Il a, en effet, été constaté que les dépenses d'assurance maladie dans le secteur des établissements médico-sociaux étaient en progression très rapide depuis plusieurs années, à un rythme très supérieur à celui de l'ONDAM. Cette évolution est liée au vieillissement de la population, mais également à des dysfonctionnements dans l'organisation des soins délivrés dans les établissements.
Dans ces conditions, il a été considéré que l'organisation coordonnée de l'intervention des professionnels de santé exerçant à titre libéral auprès des personnes âgées dépendantes, leur adhésion au projet de l'institution et le respect des bonnes pratiques définies dans le cahier des charges de la convention pluriannuelle prévue à l'article 5.1 de la loi no 75-535 du 30 juin 1975, devraient permettre de mettre un terme à ces dysfonctionnements, et donc contribuer à la maîtrise des dépenses d'assurance maladie de ce secteur. On peut en effet évaluer le total des dépenses à 4 milliards de francs, et les économies procurées à ce titre à plusieurs centaines de millions de francs.
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En définitive, aucun des nombreux griefs invoqués à l'encontre de la loi déférée n'est de nature à en justifier la censure. Aussi le Gouvernement considère-t-il que les dispositions contestées doivent être déclarées conformes à la Constitution.